Régiments et grades des soldats de Quéménéven morts pour la France
Grâce aux informations qu’il a été possible de retrouver sur les parcours des 88 hommes de Quéménéven morts pour la France en 14-18, on peut commencer à en dresser un portrait type : il est fantassin, soldat 2ème classe, d’abord mobilisé au 118e régiment d’infanterie de Quimper, a combattu aux côtés de plusieurs de ses camarades, a ensuite changé de régiment avant d’être « tué à l’ennemi ».
Ce sont surtout des fantassins, peu gradés
Quéménéven comptent 88 hommes morts pour la France, 83 inscrits au monument aux morts, et 5 autres figurant dans les registres de décès de la commune. Pour 7 d’entre eux, on n’a à ce jour aucune information sur les régiments dans lesquels ils ont servi.
Pour les 81 autres :
– 74 étaient dans l’infanterie, dont 13 dans l’infanterie coloniale
– 4 sont dans la cavalerie
– 1 est dans l’artillerie
– 2 étaient matelots canonniers.
Cette prédominance de l’infanterie est le lot des zones rurales et des paysans.
Les 74 fantassins étaient essentiellement des hommes de troupe :
– 65 soldats, essentiellement 2e classe :
– 5 caporaux
– 3 sergents
– 1 sous-lieutenant.
Parmi les 4 hommes de la cavalerie, l’un était brigadier et les trois autres cavaliers.
Des régiments de plus en plus diversifiés
Le régiment dans lequel se trouve le soldat à son décès peut être le même que celui dans lequel il a été mobilisé, notamment pour les soldats morts au cours des premiers mois du conflit. Pour les soldats de Quéménéven, ce sont essentiellement les régiments de la 11ème région militaire à laquelle le Finistère est rattaché. Sur les 88 soldats morts pour la France, 46 ont trouvé la mort dans un des régiments des 11e et 10e corps d’armée, et 33 dans d’autres régiments.
Au fur et à mesure du conflit, les affectations régimentaires se diversifient. Alors qu’en 1914, presque tous les soldats tués appartiennent à des régiments bretons, en 1918, le pourcentage s’est totalement inversé.
Les classes mobilisées plus tard sont affectées aux régiments en fonction des besoins dues aux pertes subies. De plus, il n’est pas rare que les soldats changent de régiment au cours de leurs parcours, parfois plusieurs fois. En voici quelques exemples.
Jean Le Menn et Jean-Louis Marzin, de la classe 1917, sont mobilisés au 118e RI de Quimper. En mai 1918, ils sont affectés à la 35e compagnie du 116e RI de Vannes. Fin juillet, ils partent « pour le renfort » affectés au 366e régiment d’infanterie, régiment dans lequel ils trouveront tous deux la mort, fin août 1918.
Au retour de convalescence, il peut arriver que le soldat soit affecté à un autre régiment. Ainsi Guillaume Garrec, mobilisé dans le 148e RI cantonné à Vannes, est blessé en janvier 1915. A son retour au front, début avril, il est affecté au 93e RI de la Roche sur Yon, où il sera à nouveau blessé, avant d’être tué à l’ennemi en 1918.
Un soldat peut aussi changer de régiment pour monter en grade. Ainsi Yves Trellu est d’abord mobilisé comme caporal au 116e RI de Vannes. Quand il part pour le front en mai 1915, il est passé aspirant au 4e régiment d’infanterie. Il y deviendra sous-lieutenant fin novembre 1916, quelques jours avant de perdre la vie.
Le changement de régiment peut aussi être lié à une réorganisation des corps d’armée, à la dissolution de régiments ou à la création de nouveaux régiments. Ainsi, le 318e régiment d’infanterie auxquels appartiennent les gars de Quéménéven sur la photo ci-dessus, créé à Quimper au début de la guerre et composé des réservistes du 118e RI, est dissous le 15 juin 1916 dans la Somme. Ses deux bataillons vont former chacun le troisième bataillon du 219e RI de Brest et du 262e RI de Lorient. Yves Marzin et Louis Scordia appartenaient au bataillon du 318e qui a intégré le 262e RI le 15 juin 1916. Ils trouveront la mort tous deux avec ce régiment. Quand Jacques Autret est tué, il est soldat de la 23e compagnie du 219e RI. Mais sur la photo que sa famille possède de lui pendant la guerre, il porte au col de son uniforme le n°318, indiquant qu’il était alors au 318e RI de Quimper.
Ils ont souvent combattu ensemble
Dans les écrits qu’on a eu la chance de pouvoir retrouver, plusieurs soldats indiquent qu’ils combattent avec des gars du pays, sans compter les photographies prises par Etienne Le Grand au 318e RI, comme celle de Jacques Autret avec un groupe de soldats de Kerfeunteun, ou celle de Jean-René Blaise avec les gars de Quéménéven.
De son côté, Jean-Yves Le Roux écrit à la famille de Yves Le Baut, dans un français hésitant :
« Samedi 5 sept 1915 Cher copin, Je t’écris quelque mots pour me donnez de mes nouvelles que je suis été blessé le 12 juillet par une bombe à la Boisselles mais je me suis presque guéri et puis mon rouenn j’en ai eu la chance. J’ai pas été blessé trot grave et puis il y a eu beaucoup qu il on laissé leur peau la bas parsque avec votre fils non dans les tranchées ensemble et puis on faisait pas la bille ladans surtout quand on trouver des litres de pinard. et puis j’en ai pas l’adresse de non depuis que j’étais Blessé je ne cest pas ou qu’il est parsque il sont été remplacé par les anglais. Je serais très content de savoir son adresse ou qu’il est on aurai rigoler encore comme on a fait dans les tranchées. Je finit ma carte en souhaitant bien le Bonjour à vous tous et puis a Yves. Le Roux Jean Yves »
Jean René Blaise, dans le carnet qu’il rédige après la guerre, relate le 1er juillet 1916, déclenchement de la bataille de la Somme: « Nous avons travaillé toute la nuit à poser les ponts de passage pour franchir la 1ère ligne. Terminé à 3h ½ du matin le 1er Juillet, et à cinq heures il fallait être prêt à occuper les parallèles départ. L’attaque était fixée à 9h ½ précise. Avant d’arriver à notre 1ère ligne j’ai eu le malheur d’avoir mon lieutenant chef de section de tué avec la moitié de la section. Après ce grand malheur la section, ou plutôt la ½ section n’a perdu aucun homme et l’attaque a très bien réussie. Le Bataillon a occupé son objectif sans trop de perte. C’est par le feu de barrage que mon lieutenant a été tué, ainsi que regrettez camarades du pays Hervé Le Menn, de Pouloupry, et Yves Marzin, du Bourg. Plus tard, le 20 Juillet j’ai eu la douleur de perdre mon beau-frère Pierre, qui était 264è d’Infanterie, à l’attaque d’Estrées. »
Autre témoignage, Jean Le Menn écrit à ses parents, alors qu’il vient d’être affecté au 366e RI : « On a eu le bonheur d’être dirigé sur un régiment descendant au repos des lignes et comme cela on est bien tranquille encore. Pour la répartition dans les compagnies on se voit un peu séparé, mais on se rencontrera quand même de temps en temps. Moi je suis dans la 18ème compagnie avec Le Baut de Treuscoat, tandis que Jacques Colin et Marzin sont versés, l’un à la 17e et l’autre à la 19e »
La division d’infanterie, élément clé
Finalement, le régiment n’est pas, pour le déroulement des combats, l’entité la plus importante même si c’est l’information que nous avons le plus utilisée pour retrouver les traces des soldats de Quéménéven. A la lecture des Journaux de Marche et d’Opérations, il est particulièrement évident qu’un régiment n’évolue jamais seul sur le terrain des hostilités. Il est toujours englobé dans une organisation, et pour l’infanterie, la division d’infanterie en est l’élément tactique de base.
En 1914, une division d’infanterie compte 4 régiments d’infanterie, 1 régiment d’artillerie, 1 escadron de cavalerie, 1 compagnie de génie. En 1918, l’armée a été réorganisée. La division d’infanterie compte 3 régiments d’infanterie, 1 régiment d’artillerie de campagne à 3 groupes, 1 groupe d’artillerie lourde, 1 escadron de cavalerie, 1 compagnie de génie, 1 escadrille.
Prenons l’exemple de la 22e division d’infanterie en 1914. Cette division regroupe les régiments d’infanterie de l’armée d’active de l’ouest Bretagne.
La division d’infanterie mène l’offensive sur un front de 2 à 5 kilomètres, parfois deux fois plus étendu. Les deux brigades, qui regroupent chacune deux des 4 régiments d’infanterie qui composent la division, se voient affecter un secteur dans lequel s’organisent les bataillons et les compagnies. Quand on est en phase défensive, il s’agit de tenir ses tranchées. Les régiments alternent période en ligne et période au repos. Au sein des régiments, les bataillons occupent différents secteurs, et les compagnies qui les composent alternent période en 1ère ligne, période en 2ème ligne et arrière.
Dans le cas d’un assaut, toutes les troupes sont mobilisées et organisées pour pouvoir partir à l’assaut en plusieurs vagues. L’exemple de l’attaque de la butte de Tahure par la 22e division à la fin septembre 1915 est assez éloquent comme en témoigne le schéma ci-dessous.
La 43e brigade d’infanterie regroupe le 62e régiment d’infanterie de Lorient et le 116e de Vannes. Sur le schéma d’attaque ci-dessus, tel qu’il figure dans le Journal de Marche et des Opérations de la 43e brigade, le 116e RI est à gauche, le 62e à droite. 2 bataillons de chaque régiments assurent les 1ère, 2ème et 3ème vagues d’assaut, et le 3ème bataillon assure la 4ème vague. Les numéros 1, 2, 5, 6… sont les numéros des compagnies engagées dans les combats. Ainsi la 1ère compagnie du 116e fournit les hommes de la 1ère et de la 2ème vague, avec les 2ème, 5ème et 6ème compagnies du même régiment. Les positions du 62e RI sont organisées de la même façon.
Bien qu’on ne dispose pas du JMO de la 44e brigade à laquelle appartenait le 118e RI de Quimper qui a perdu beaucoup d’hommes lors de cette attaque, on peut supposer que les positions de la brigade étaient identiques sur le secteur voisin de celui de la 43e brigade. Les informations que l’on peut déchiffrer sur le JMO du 118e régiment vont dans ce sens.
Les sources
Les parcours des soldats morts pour la France de Quéménéven ont été abordés d’abord grâce aux indications portées sur les fiches de la base des morts pour la France sur le site Mémoire des Hommes et que l’on trouve généralement sur les retranscriptions des actes de décès dans les registres de la mairie de Quéménéven. Ces informations nous apprennent le régiment dans lequel se trouvait le soldat au moment de son décès. On peut alors se reporter au journal de marche et d’opérations du régiment (et de la brigade ou de la division) pour connaître les circonstances du décès.
Par contre, les parcours détaillés des soldats sont généralement difficile à reconstituer, notamment pour ceux qui ont fait plusieurs années de guerre, ou pour ceux qui ont été mobilisés plus tardivement.
Les fiches matricules qui sont progressivement mises en ligne sur le site des archives départementales du Finistère apportent de précieux renseignements, pour l’instant uniquement pour les soldats des classes antérieures à celle de 1898. Ce sont finalement les documents détenus par les familles qui ont permis de glaner le maximum d’éléments, notamment quand on a eu la chance de trouver le livret militaire et des courriers précisant les affectations.