Rechercher les soldats d’une commune morts pour la France : croiser les sources

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Quéménéven n’échappe pas à la règle. Les soldats à qui la mention « Mort pour la France » a été octroyée n’ont pas tous été inscrits sur les deux monuments aux morts de la commune. Et les recherches dans la base des Morts pour la France du site Mémoire des Hommes ne suffisent pas pour tenter d’être exhaustif.

L’examen des registres de décès de la mairie avait permis de repérer 5 soldats « Morts pour la France » dont le nom n’a pas été reporté sur le monument aux morts (voir article sur les monuments aux morts). Récemment le Livre d’or des Morts pour la France mis en ligne par les Archives Nationales a permis d’en identifier un autre.

Point de départ : Monument au mort et plaques commémoratives

La liste des soldats inscrits sur le monument aux morts est bien souvent le point de départ de la recherche, soit sur place, soit via les relevés disponibles sur Internet, sur le site Mémorial Genweb par exemple.

Le monument au mort est emblématique de la Grande Guerre. Apparus avec la guerre de 1870, ils sont non seulement généralisés après la guerre de 14-18, mais pour la première fois, les victimes sont identifiées, nommées, reconnues individuellement et collectivement .

La loi du 25 octobre 1919, « relative à la commémoration et à la glorification des morts pour la France au cours de la Grande guerre », lance le recensement des disparus dans chaque commune en vue d’ériger des monuments pour les honorer. Selon cette loi, l’inscription d’un nom se justifie pleinement lorsque le défunt est titulaire de la mention « Mort pour la France », et est né ou domicilié légalement en dernier lieu dans la commune considérée.

A Quéménéven, comme ailleurs, des personnes sont en charge de ce recensement. La mairie a conservé les morceaux de papier sur lesquels les noms des soldats disparus ont été inscrits, noms  qui vont être inscrits sur le futur monument. Ce sont bien sûr, comme le prévoit la loi les soldats nés ou domiciliés sur la commune, mais pas seulement et pas tous. On trouve aussi parmi les 83 noms figurant sur les monuments aux morts du bourg et de Kergoat, les noms de soldats qui ne sont pas originaires de Quéménéven et n’y étaient pas domiciliés.

Ce sont, par exemple, des domestiques qui vivaient et travaillaient dans des fermes de la commune mais dont le domicile légal est dans une commune voisine. Ce sont aussi des soldats dont la famille vit sur la commune et souhaite pouvoir honorer ses morts. Et l’on constate, comme sur le document ci-dessous, que c’est d’autant plus vrai que la famille du soldat « étranger » à la commune participe à la souscription publique pour la construction du monument aux morts.

Archives de la Mairie de Quéménéven

Archives de la Mairie de Quéménéven

Ces « arrangements » locaux avec les familles résidantes ou les patrons de ferme expliquent-ils les différences notables entre cette liste de 83 noms inscrits au monument aux morts, et celle bien moindre du Livre d’Or de la commune ?

Les livres d’or des morts pour la France

Par la loi du 25 octobre 1919, « relative à la commémoration et à la glorification des morts pour la France au cours de la Grande guerre », l’Etat lance le projet d’un Livre d’or comprenant les noms de tous ces héros jusqu’alors anonymes, qui serait déposé au Panthéon. Le ministère des Pensions, nouvellement créé, est chargé d’établir, à partir du fichier existant, la liste des Morts pour la France de chaque commune ; il l’adresse en 1929 aux maires qui la contrôlent et l’amendent.

Le principal intérêt de ces livres d’or est de fournir des éléments qu’on ne trouve pas sur les monuments aux morts, à savoir la date et le lieu de naissance et de décès, ainsi que le grade du soldat. Numérisés par les archives nationales, ces livres d’or sont désormais accessibles en ligne, avec une procédure de recherche un peu complexe (mode d’emploi).

Le Livre d’or de Quéménéven peut être consulté en cliquant sur ce lien : Salle des inventaires virtuelle. On y trouve 70 noms, dont trois ne figurent pas sur le monument aux morts. Ce sont donc 16 noms qui sont inscrits sur le monument aux morts et qui ne figurent pas dans le Livre d’Or.

Extrait du livre d'or des Morts pour la France de Quéménéven (Archives Nationales)

Extrait du livre d’or des Morts pour la France de Quéménéven (Archives Nationales)

Ces 16 noms « manquants » sont pour 7 d’entre eux ceux de soldats morts à leur domicile à Quéménéven de tuberculose. Ils ont été reconnus Mort pour la France plus tardivement, à la suite d’un examen de leur dossier par les autorités médicales ou militaires. On ne retrouve pas non plus les fiches de ces 7 soldats sur la base des Morts pour la France du site Mémoire des Hommes.

Sept autres soldats étaient domiciliés dans une autre commune que Quéménéven. Ils figurent sur les monuments aux morts de Quéménéven à la demande des familles, notamment des épouses qui sont (re)venues vivre à Quéménéven au départ de leur époux à la guerre ou après leur mort. C’est le cas par exemple pour Jacques Curunet ou Jean-René Briant. Il peut s’agir aussi d’inscrire le nom d’un fils parti récemment vivre ailleurs, comme Pierre Le Marc’h, vivant en région parisienne mais né à Quéménéven. Ou encore celui d’un frère. Ainsi figure sur les monuments aux morts de Quéménéven le nom de Pierre Moreau de Locronan, mort le 8 octobre 1915, deux jours après et dans la même bataille que son frère Claude vivant lui à Quéménéven. Les deux frères sont d’ailleurs aussi inscrits sur le monument au mort de Locronan.

Sur ces 16 noms, deux sont ceux de marins, dont l’un disparu en mer (Jean-Louis Cariou), et l’autre mort à son domicile (Alain Poquet). On retrouve leur fiche dans la base des Morts pour la France. Les marins n’ont-ils pas été listés sur les Livre d’Or ?

Quant aux trois noms qui figurent sur le Livre d’Or mais pas sur les monuments aux morts de la Commune, il s’agit de René Collobert, Ignace Darcillon et Pierre Marchadour. Tous trois semblent ne plus avoir de famille directe vivant à Quéménéven à la fin de la guerre.

Les registres d’état-civil, jugements déclaratifs, sépultures

En épluchant les registres de décès à la mairie de Quéménéven, trois actes supplémentaires portent en marge la mention de Mort pour la France, sans toutefois que le nom des soldats ait été inscrits au monument aux morts ni n’apparaissent dans le Livre d’Or. Ici l’explication est simple, tous trois sont morts après la construction des monuments (Corentin CariouLouis PersonJean Marie Chevalier).

Le registre des décès apportent des informations complémentaires sur les soldats concernés. On a parfois des détails sur la compagnie à laquelle était rattachée le soldat, son métier au moment de la mobilisation, son statut marital et le nom de son épouse, le lieu de son inhumation.

Acte de décès de Louis Bernard, Mairie de Quéménéven

Acte de décès de Louis Bernard, Mairie de Quéménéven

Les décès des soldats morts pendant la guerre, ou à cause de la guerre sont enregistrés dans les mairies de leur dernier domicile légal. L’acte de décès est transcrit sur le registre d’état-civil de la mairie à la date la plus proche du décès réel survenu sur le front ou dans un hôpital. Si le corps n’a pas été retrouvé, le décès fait l’objet d’un jugement déclaratif auprès du tribunal, celui de Châteaulin pour ce qui concerne Quéménéven.

Sur les 89 morts pour la France dénombrés à Quéménéven, 81 sont morts pendant le conflit, et 8 entre 1919 et 1922. Sur les 81 soldats morts pendant le conflit, 33 ont fait l’objet d’un jugement déclaratif de décès, jugements prononcés surtout en 1920 et 1921, et jusqu’en 1924. Pour autant, la relation « jugement déclaratif – corps non retrouvé » n’est pas systématique. En effet, une sépulture est indiquée pour 8 de ces soldats. La recherche de l’existence d’une sépulture pour chacun des soldats morts hors de Quéménéven s’est faite sur le site Mémoire des Hommes, rubrique Sépultures de guerre.

On peut donc retenir que sur 81 hommes qui ont perdu la vie pendant le conflit, 25 n’ont pas été retrouvés, soit près d’un tiers d’entre eux, ce qui est énorme et témoigne de la violence et de l’intensité des combats.

Le site web Mémoire des Hommes

Cette base de données, mise en ligne par le ministère de la Défense, recense les militaires décédés lors de ce conflit, ayant obtenu la mention « Mort pour la France ». Elle est constituée par la numérisation et l’indexation de toutes les fiches élaborées par l’administration des Anciens combattants  au  lendemain de la guerre. La base des Morts pour la France est une mine de renseignements.

Les fiches permettent de croiser et vérifier les données, les homonymes sont nombreux, parfois dans le même régiment, parfois tués le même jour. Elles permettent aussi de compléter les données. On y trouve par exemple la date du jugement déclaratif du décès et le lieu de la transcription, ce qui permet ensuite de retrouver l’acte de décès.

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Les fiches matricules, dernière étape

C’est un véritable travail d’enquête qui permet de lister les soldats morts pour la France dans une commune donnée. Nous avons pris le parti, dans un premier temps, de nous en tenir à ceux qui figurent sur les monuments aux morts de la commune, dans le Livre d’Or de la commune et dans le registre des décès de l’état-civil.

Nous savons cependant que des soldats, nés à Quéménéven, sont morts pour la France, mais n’apparaissent pas dans ces relevés, recensés dans les communes voisines ou plus lointaines. Seul l’examen des fiches matricules, délivrées progressivement par les Archives départementales du Finistère, permettra d’avoir une vision exhaustive des morts pour la France de Quéménéven.

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