Les monuments aux morts de Quéménéven

mmkergoatAvez-vous déjà remarqué les monuments aux morts de Quéménéven ? Oui, vous avez bien lu « les » monuments aux morts car Quéménéven en compte deux. Savez-vous où ils se trouvent dans la commune ? Avez-vous déjà pris quelques minutes pour lire les noms qui y sont gravés ? Pensez-vous qu’ils commémorent chacun une guerre (la première sur l’un, la seconde sur l’autre) ou bien qu’ils honorent les morts de différents quartiers ?

Plus de 36 000 monuments aux morts furent érigés en France entre 1918 et 1926, généralement un dans chaque commune sous la pression des anciens combattants et des familles, et bien qu’il n’y ait pas eu obligation pour les communes de construire un monument commémoratif. Le monument aux morts devint le lieu de rassemblement, de recueillement autour des 1 400 000 morts du seul côté français, dont près de la moitié ne purent bénéficier d’une sépulture parmi lesquels 350 000 disparus «pulvérisés sur le champ de bataille», comme l’écrit l’historien Jean-Yves Le Naour.

La commune de Quéménéven présente comme particularité de compter deux monuments aux morts, l’un au bourg, dans l’enclos de l’église paroissiale, l’autre à Kergoat dans l’enclos de la chapelle Notre-Dame de Kergoat, tous deux érigés en mémoire des morts de la première guerre mondiale.

Photo Y. Le Grand

à gauche le monument aux morts du bourg, à droite celui de Kergoat. Photos Y. Le Grand

On a coutume de dire que Quéménéven est une commune tricéphale, le bourg, Kergoat, la gare. On pourrait penser que la présence de ces deux monuments aux morts est une expression de ce particularisme, et s’attendre à trouver sur le monument de Kergoat uniquement les soldats de Kergoat (ce que pensent un certain nombre de personnes interrogées). Pourtant la guerre 14-18 pour meurtrière qu’elle a été a aplani les localismes et on retrouve sur les deux monuments la même liste de noms, ceux de 83 jeunes hommes qu’ils soient de Kergoat, du Goulit, de la Gare ou du bourg.

« Aux Enfants de Quéménéven morts pour la France »

Qui sont ces « Enfants de Quéménéven » ? La Loi du 25 octobre 1919, relative à la commémoration et à la glorification des morts pour la France au cours de la grande guerre, stipulait que devaient être enregistrés dans chaque commune « les noms des combattants des armées de terre et de mer morts pour la France, nés ou résidant dans la commune ». Quand la règle fut scrupuleusement respectée, ce sont donc ces noms que l’on retrouve inscrits sur les monuments aux morts. Cependant, la situation s’avère généralement un peu plus complexe, et c’est aussi le cas à Quéménéven.

La municipalité dut en effet répondre aux demandes des familles, dérogeant à la règle principale. Ainsi, telle veuve originaire de Quéménéven vivant à Plomodiern avant le conflit et revenue vivre à Kergoat près de sa famille après son veuvage, souhaita voir le nom de son mari sur le monument aux morts bien qu’il ne soit pas né dans la commune ni qu’il y ait résidé. Ou encore telle famille demanda à voir inscrit sur le monument aux morts le nom de son fils revenu tuberculeux de la guerre et décédé dans ses foyers et qui n’est pas encore, en 1919, reconnu Mort pour la France.

Autre cas de figure, certains soldats furent inscrits sur plusieurs monuments aux morts, comme les deux frères Claude et Pierre Moreau, inscrits sur les Monument aux Morts de Quéménéven et de Locronan, d’où ils étaient originaires même si Claude s’était marié et vivait à Quéménéven. Peut-être ont-ils désiré ne pas séparer les deux frères ?

Car « le soldat mort n’est pas un défunt comme les autres », écrivent Didier Guivarch et Yann Lagadec. Très peu de familles purent ramener leurs morts dans la tombe familiale. Elles eurent besoin de cette preuve symbolique pour faire le deuil, tout comme les anciens combattants eurent besoin de rendre hommage à leurs camarades disparus quand eux en sont revenus.

Le registre des décès de la mairie de Quéménéven contient les actes de décès de 5 soldats déclarés Morts pour la France qui ne sont pourtant pas inscrits sur le monument aux morts. Pour quatre d’entre eux c’est tout à fait compréhensible. Trois sont morts à leur domicile après l’érection des monuments, probablement des suites de blessures ou de maladie contractée pendant la guerre. Le quatrième, Pierre-Marie Marchadour, orphelin, originaire de Plomodiern, tué à l’ennemi en 1918, est enregistré à Quéménéven parce que son tuteur était de Quéménéven. Il est inscrit sur le monument aux morts de Plomodiern. Pour le cinquième, dont le décès date de 1916 à l’hôpital d’Alençon, nous n’avons pas d’explication.

Aux 83 noms inscrits sur les monuments aux morts de Quéménéven, on peut donc rajouter les noms de 4 soldats Morts pour la France qui ne sont inscrits sur aucun monument aux morts :

  • Corentin Cariou, décédé à 22 ans, le 17 juillet 1920 au domicile de ses parents au Yeun
  • Jean-Marie Chevalier, décédé à 39 ans le 31 mars 1922 en son domicile de La Laiterie
  • René Marie Collobert, décédé à 41 ans le 3 mars 1916 à l’hôpital d’Alençon des suites de blessures de guerre
  • Louis-Marie Person, décédé à 34 ans, le 29 mars 1921 en son domicile de Kergariou.

Par la volonté de toute la commune

Les archives conservées à la Mairie de Quéménéven permettent de retracer les étapes qui ont conduit à la réalisation de ces monuments, depuis la souscription publique à la livraison des monuments.

Car ces monuments sont avant tout une volonté collective.

A l’instar de la plupart des communes françaises, en octobre 1919, une quête fut organisée dans toute la commune. Les archives de la mairie révèlent un mot griffonné au crayon de bois sur un coin de papier : « Dire au recteur de publier le dimanche 12 qu’une quête sera faite le 15 octobre dans toute la commune pour le monument ».

Quatorze volontaires se répartirent alors les différents quartiers de la commune qu’ils parcoururent deux par deux de maison à maison pour recueillir les « promesses de dons » en vue de la construction du monument aux morts. D’après les registres de la souscription conservés à la mairie, 334 familles participèrent à la souscription publique, donnnat de quelques francs à des sommes plus rondelettes, en proportion de leurs moyens ou de la présence d’un des leurs sur la liste des inscrits aux monuments aux morts. Des dons vinrent s’ajouter à cette souscription. Au total, la souscription et les dons permirent de recueillir 6 200 francs (ce qui équivaut en euros de 2012 à la somme non négligeable de 8 090 euros).

Registre de souscription correspondant au quartier de Kergoat

Registre de souscription correspondant au quartier de Kergoat (archives de la mairie)

A la suite de la souscription, la mairie sollicita des devis et le conseil municipal du 29 février 1920 entérina le choix de l’offre de la marbrerie Metterie de Brest qui, suite à une visite à Quéménéven, avait proposé un devis pour le monument de Quéménéven (5 000 francs) et un devis pour le monument de Kergoat (4 000 francs) pour un total de 10 550 francs incluant la gravure, la dorure des inscriptions et le transport de Brest à Quéménéven.

Dès l’origine, il fut donc question d’ériger deux monuments aux morts sans qu’on ait trouvé une explication dans les archives de la mairie sur le pourquoi de deux monuments.

En avril 1920, pour finaliser l’achat de ces monuments et compléter les crédits obtenus par souscription et dons (6200 francs) et sur le budget de la municipalité (2000 francs), la mairie fit parvenir à la Préfecture un dossier pour l’obtention d’une subvention de 2 350 francs, dans lequel il est uniquement fait état du monument du bourg. Le prix du monument de Kergoat est englobé dans le prix total.

La loi promulguée le 25 octobre 1919, précisait que « des subventions seront accordées par l’État aux communes, en proportion de l’effort et des sacrifices qu’elles feront en vue de glorifier les héros morts pour la patrie ».

Pour collecter les sommes de la souscription publique, le conseil municipal du 11 juin 1920 créa un « comité pour l’érection du monument aux morts pour la France ». Le trésorier, M. Flatrès, directeur de l’école, « serait autorisé à recevoir toutes sommes provenant de souscriptions, dons, subventions et destinées à couvrir les frais dudit monument ».

Les barèmes de subventionnement ne furent cependant fixés par l’État qu’en août 1920 : la subvention sera fonction du nombre de morts comparé à la population de 1914, et d’un calcul assez subtil de la « valeur du centime rapporté à la population en 10e d’habitant ».

Quéménéven se trouve dans la tranche des 4 à 4.5% (83 morts pour 1875 habitants), ce qui lui permit d’obtenir une subvention de 8% des crédits inscrits au budget, et une subvention complémentaire de 10% des crédits inscrits au budget suivant le calcul de la valeur du centime.

Des monuments installés en juillet 1920

Premier projet présenté à la municipalité (archives de la mairie)

Premier projet présenté à la municipalité (archives de la mairie)

En mai 1920, la préfecture du Finistère attira l’attention des maires du département sur les aspects artistiques des monuments et demanda la création d’une commission départementale chargée d’examiner les projets de ce point de vue. « Tout d’abord, il m’a été signalé et j’ai eu l’occasion de constater par les croquis joints aux dossiers que les projets présentés sont dus,pour la plupart des cas, soit à des industriels qui n’hésitent pas à les entreprendre « en série », dans un but exclusivement commercial, soit à des sculpteurs et architectes dont les productions sont trop souvent loin de répondre à un souci d’esthétique« , écrit le Préfet

A Quéménéven, les deux monuments sont simples et standardisés. Réalisés en granit de Kersanton dans les ateliers de la marbrerie Metterie de Brest, ils sont  de forme pyramidale surmontée d’une croix. La pyramide et la croix sont entièrement polies. Celui de Quéménéven est un peu plus grand que celui de Kergoat et est orné d’une palme en bronze avec la mention ‘Pro Patria’.

La face avant des deux monuments porte la mention « Aux Enfants de Quéménéven Morts pour la France 1914-1918 ».

Les noms, prénoms et grades des soldats sont inscrits sur les trois autres faces, regroupés par classe d’âge (rappelons qu’une classe d’âge regroupe tous les jeunes hommes qui ont 20 ans cette année là et sont recensés pour le service militaire, ainsi par exemple les hommes nés en 1891 sont de la classe 1911).

Livraison

Le 6 juillet 1920, la marbrerie Metterie adresse un courrier à la mairie de Quéménéven « J’ai réussi à obtenir un wagon de fort tonnage et j’ai chargé tous les monuments commémoratifs pour la gare de Châteaulin (…). Il faudra pour le monument du bourg 5 charrettes. Pour Kergoat, 3 charrettes« .

Le 7 juillet le maire reçoit un télégramme « Venir demain samedi première heure avec charrette gare Châteaulin pour monument Metterie ».

Le télégramme reçu par le maire le 7 juillet 1920 (archives de la Mairie)

Le télégramme reçu par le maire le 7 juillet 1920 (archives de la Mairie)

Implantation

A l’instar d’une majorité de communes bretonnes, les monuments aux morts de Quéménéven sont associés à l’espace religieux. Au bourg, le monument fut initialement installé à l’entrée de l’enclos paroissial dans lequel se trouvait le cimetière, ce qui ne laissait plus suffisamment de place pour y installer le monument aux morts. De fait, après le déménagement du cimetière sur la route de Cast, le monument a été déplacé dans l’enclos paroissial. A Kergoat, le monument aux morts est, depuis l’origine, érigé à l’abri de la chapelle.

Coll. Y. Le Grand

Coll. Y. Le Grand

Et demain ?

Les monuments aux morts sont de nos jours souvent méconnus. Ceux de Quéménéven et Kergoat n’échappent pas à la règle. Lieux du souvenir dans l’immédiat après-guerre, destinés à accompagner le deuil des familles tout en honorant les soldats de tout un pays, ils sont aujourd’hui visités tout au plus deux fois par an, le 11 novembre et le 8 mai.

Pourtant, ils sont à plusieurs titres des témoins historiques, qu’il s’agisse de l’histoire des familles, de l’histoire des arts, de l’histoire des mentalités, ou tout simplement de l’histoire de la commune. « La mémoire de la guerre est aussi une guerre de la mémoire » écrivent Didier Guivarch et Yann Lagadec.

Quelques lectures :

Didier Guivarch et Yann Lagadec (2013) – Les Bretons et la Grande Guerre. Images et Histoire. Presses Universitaires de Rennes

Jean-Yves Le Naour (2008) – Le Soldat inconnu, la guerre, la mort, la mémoire. Éditions Découvertes Gallimard.

Jay Winter (2008) – Entre deuil et mémoire. La grande guerre dans l’histoire culturelle de l’Europe. Éditions Armand Colin

 Annette Becker (1988) – Les Monuments aux morts. Mémoire de la Grande Guerre. S.1., Errance.

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1 réponse

  1. LE FOLL Philippe dit :

    Bravo pour cette initiative.
    Papa est né à Kervigodou en 1926.
    Je suis cousin avec la famille FEREC de Kergrignoux, BLAISE de Kerrien et LE MENN de Kerouredan.

    Passionné de généalogie, je peux si vous le souhaitez, vous apporter mon aide !
    Très amicalement

    NB: Je n’ai pas de site WEB ; je suis adhérent du Cercle Généalogique du Finistère depuis de nombreuses années sous les numéros 13144 et 14386.